Photos : A. Finistre / Textes M. Chevassus

vendredi 11 février 2011

Birmanie, sans voix

De retour de Birmanie après un mois, nous voici de nouveau sur le blog pour TEMOIGNER.

Que me cache-t-on?

J’ai été étonnée de trouver un sourire sur toutes les lèvres lorsque je j’en lançais un. Les gens, dans un pays non-libre ne sont-ils pas censés pleurer sur leur sort ou préparer une rébellion? Que me cache-t-on ici? Les check points abandonnés sont nombreux à Yangoon, comme dans un pays qui vient de cesser une guerre. Alors comment est cette nouvelle capitale, Naypyidaw, à laquelle je n’ai pas vraiment accès? Fermée, barricadée? Fantôme ou capitaliste?
Mes hôtes, dans les guesthouses veulent savoir ce que je fais, qui je suis, où je vais. A Kyaukme, on fait dix photocopies de mon passeport pour chaque autorité de cette petite ville de 80 000 habitants. De quoi avez-vous peur? Je voulais aller à l’est, au nord du pays... Les zones me sont fermées? Que me cache-t-on...



Touriste ou voyageur?
Doit-on voyager en Birmanie, doit-on éviter de financer la junte militaire au pouvoir en se gardant d’entrer dans le pays? Je crois que la voie juste à suivre est celle du voyageur et non celle du touriste, le premier évite de passer des vacances de plaisir dans le pays mais se rapproche des Birmans et de leur quotidien. Ainsi, il apporte une certaine ouverture, un peu d’air frais à un pays dont les frontières sont fermées pour ses ressortissants (leur passeport ne permet que d’entrer dans cinq pays d’Asie du sud-est). A l’inverse, le touriste universel consomme du monument et s’extasie sur les paysages, tout en renflouant les caisses de l’Etat autoritaire. Il parle anglais, mange aseptisé, trouve les Birmans gentils et le pays d’un rapport qualité prix qui n’est pas exceptionnel. Renfermer le pays dans son propre cliché... Ce n’était pourtant pas leur intention.

Yangoon et Mandalay, elles ont -presque- tout des grandes
Une impression de vieille Europe s’impose parfois avec ces anciens bâtiments coloniaux décrépis, aux coulures humides, aux fissures inquiétantes. Quatre étages qui paraissent abandonnés, des bow-windows so british, une couleur vert menthe tirant sur le vert moisissure.Les autres appartements sont basiques, par les fenêtres entrouvertes, on aperçoit les néons éclairant le salon des appartements que l’on devine décorés de boiseries kitsch. Donnant sur la rue, les échoppes - une pièce mal éclairée prolongée d’un semblant de cuisine sombre et d’une salle d’eau humide - font offices de lieu de vie familial. Dans celui-ci, on regarde les soaps en famille, entassés sur un canapé, devant celui-là, on donne à manger au petit dernier, assis sur les marches, au contact de la vie. Les gamins se sont procurés une balle creuse en osier et joue en cercle à dribbler avec, ça s’appelle le chinlow. Les garçons portent comme leurs pères le longyi, une jupe faite d’une pièce de tissu cousue en tube. Ils la replacent sans arrêt, comme un tic. Pour jouer, ils la remontent en short à la façon des Indiens du sud.
Les rats sortent des embouchures d’égoûts, direction les petits tas de déchets mis en sac plastique. Un peu plus loin, les échoppes à riz vendent un ou deux plats façon cantine. On y mange à 50 centimètres du sol, soi installés sur une table commune face à la femme qui prépare les assiettes, soi sur des petites tables et chaises en plastiques, qui seraient destinées en Europe, aux enfants. Ces terrasses improvisées sont également celles des tea centers, dans lesquels on vous propose un thé renforcé de lait concentré sucré.La tradition veut que le consommateur puisse boire à volonté du thé vert de Chine en même temps. Donc un thermos et des petites tasses sans anse sont disposées sur les tables à votre arrivée. Le thé au lait... en colonisant cette dépendance de l’Inde, les Anglais ont décidément imposé leur marque de fabrique. Tous les hommes d’un certain âge mais aussi les étudiants en pleine émancipation en raffolent. Ils viennent s’installer là et causent entre eux calmement.
Les Birmans sont fans de reprises de tubes américains et spécialement celles des Iron Cross - une sorte de boys band quinquagénaire qui aime chanter Bon Jovi et Coldplay . Mais aucun jeune ne connaît la première version, et, pas sûr qu’ils puissent se la procurer. Pour mieux pouvoir contrôler les paroles et éviter au peuple de s’attarder sur ces idées rebelles qui pourrissent les Occidentaux? Même chose pour le rap, je demande à un garçon de mon âge fan de hip hop quels artistes américains il écoute. Il ne peut me citer que des noms birmans. Bonjour l’ouverture. En même temps, à quoi bon lorgner sur l’Occident puisque les voisins immédiats sont les puissances du futur, la Chine et l’Inde. Et puis, les anciens oppresseurs identifiés sont la Grande-Bretagne et le Japon. L’ancienne alliance de l’Ouest.
«Malgré la libération d’Aung San Suu Kyi, je crois qu’en Birmanie, rien ne changera. J’en parle avec mes employés, ils pensent que le gouvernement est bien installé et que la démocratie reste un rêve lointain.» Un entrepreneur français de Koh Tao

«Le système les a pervertis, aujourd’hui, ils sont secrets. Ils peuvent devenir voleurs, partir du jour au lendemain sans vraie explication.»

1 commentaire:

  1. Merci merci merci merci,
    grâce à toi, j'ai l'impression d'être encore sur la route. Une ligne après l'autre, un km après l'autre, pour moi c'est kif kif, c'est comme si j'y étais. Je lis un paragraphe, je me retrouve dans un autre monde. Le canapé se transforme en vieux banc en bois. Les murs du salon tombent par terre et je me retrouve dans une rue crado, perdu au fin fond de l'Asie du Sud-Est. Je deviens le spectateur d'une tranche de vie, toujours à travers ce regard sur les choses qui me ressemble (ou l'inverse...).
    Jalousement,
    ton frangin

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