Photos : A. Finistre / Textes M. Chevassus

On les a rencontrés ...


Je ne suis pas illuminé, je "suis" juste Jésus



Il est là, devant l’église du Saint-Sépulcre, seul. Il ressemble aux représentations bibliques de Jésus.
Lorsqu’on lui demande si on peut lui poser quelques questions, l’homme à la toge blanche vous renvoie une interrogation métaphysique en anglais : « Où en êtes-vous spirituellement? » Sa voix est douce et chaleureuse. Ses cheveux mi-longs châtains flottent autour de son visage rondelet. Un nuage passe, un rayon de soleil lui fait plisser les yeux. Il attend une réponse.
James, de son prénom, un Américain originaire de Détroit dans le Michigan, est un OVNI parmi la foule de chrétiens présents devant l’église qui accueille le tombeau du Christ. Vêtu d’un drap immaculé de coton noué à la taille par une cordelette, lui couvrant les bras et les jambes jusqu’au genoux, il marche la plupart du temps pieds nus. Il porte, pliée sur le bras, une couverture épaisse et beige : « Je la revêt lorsqu’il fait froid. J’ai décidé de m’habiller le plus simplement possible ».
A première vue, on se dit qu’il a dû se laisser gagner par le syndrome de Jérusalem, celui qui rend les croyants hallucinés après un choc émotif lié à la religiosité trop intense des lieux. Aux Etats-Unis, certains l’appellent the Jesus Guy, c’est le nom repris par un documentaire de Sean Tracey (2007) à son sujet. Il est bien connu des medias qui ont tenté plusieurs fois de cerner l’identité de ce voyageur aux quarante pays. Depuis 20 ans, il parcourt le monde afin de se rapprocher de Jésus. James sait donc qu’il n’est PAS Jésus. « J’ai découvert d’abord Bouddha et Gandhi quand j‘étais ado.» Mais ça n’a pas collé. Il a eu une révélation lorsque son père, un non-pratiquant, lui a offre le Nouveau Testament, James s’est reconnu dans les écritures. Il a quitté ses vêtements, et il porte aujourd’hui lui-même son fardeau, comme l’a recommandé Jésus à ses disciples.


Un voyageur dans la ruelle



« Envoyez-moi une carte postale! » Mohammed, 61 ans, collectionne les courriers des étrangers qu’il a rencontrés depuis 20 ans. A l’origine, il les conduisait dans son rickshaw. Aujourd’hui à la retraite, suite à un accident, il continue le voyage, assis toute la journée sur un pan de mur dans une petite ruelle d’Udaïpur. Petit homme à la mine parfois radieuse, parfois préoccupée, il arbore les mêmes lunettes en plastique rouge et le même pull bleu gris que sur la plupart des photos. Il les tire par vingtaines de sa besace. Espagne! Canada! Australie!France!


A travers son stock jauni et écorné de cartes arrivées du monde entier à la même adresse, la sienne, il fait le tour de la terre. Un des rares voyageurs au long cours en Inde puisque la majorité des habitants ont très peu d’autorisations et encore moins le budget pour sortir de leur pays.














Le chamelier du farwest aux poches trouées

« Les gens vous diront de vous méfier de moi, ne les écoutez pas .» Ancien collaborateur pour les tours operators locaux, Kheta Ram a passé son temps à conduire les groupes de touristes dans le désert à dos de chameau. Issu d’une famille de chameliers du Thar (l’immense désert de l’ouest indien), il fait aujourd’hui de l’ombre à ses anciens employeurs dont il s’est détaché. « Ils paient mal leurs chameliers alors j’ai décidé de travailler en indépendant. » Deux jeunes cousins l’accompagnent et lui louent leurs chameaux. Business familial. « Nous proposons aux touristes des circuits hors des sentiers battus », explique-t-il fièrement. Parce qu’il connaît la région comme personne. Ou plutôt comme la poche de son veston de costume qu’il porte sur une chemise blanche au col mao, et un pantalon traditionnel fait d’une pièce de tissu noué savamment à la taille. Il couronne son mètre quatre-vingt d’un turban rose de 6 mètres de long qui cache d’épais cheveux grisonnants. Il a l’allure d’un prince avec ses babouches en cuir, et le porte-monnaie d’un pauvre. Kheta a bientôt 50 ans, voilà plus de dix ans qu’il fonctionne seul et chaque saison touristique, il prospecte pour vendre ses services. Le prix sera un peu plus cher que pour une expérience de groupe et Kheta vous demande de rallonger régulièrement : « Pour vous, une centaine de roupies, qu’est-ce que c’est? » Kheta, en indien, cela veut dire « combien? »… On se demande si ce n’est pas une blague. Cela dit, il n’a a pas complètement tort. Trois-cent roupies (7 euros) pour des médicaments qu’il file acheter à la petite dernière de son immense famille (15 petits-enfants en bas-âge), une fillette d’un an ébouriffée et sale, au pantalon plus déchiré qu’un vieux chiffon. Malgré un gramme de méfiance, comment refuser? « Si vous avez des habits en trop … pouvez-vous m’en donner? », demande-t-il presque timidement.
Ce qui manque à Kheta, aujourd’hui, c’est une communication autour de son activité et d’un bureau. D’autres touristes lui ont fait la promesse de l’aider à acquérir un local (300 euros) afin d’avoir pignon sur rue. Un homme du désert qui vous fait découvrir son village, sa famille, son quartier en toute intimité, c’est précieux. Comme une aiguille dans une botte de foin, Kheta reste l’homme authentique qui lutte parmi les « gros » pour préserver l’identité de ses ancêtres.

Expatriée attend réincarnation

« Vous êtes Français? J’ai été Française également dans ma vie précédente. J’espère, rentrer à Paris dans ma prochaine existence .» Un drôle de discours tenu par celle qui se fait appeler « Matignon ». Mae Kying Yeung, conductrice de bateau à moteur, a quarante ans, un physique masculin, elle trimballe une existence lourde derrière elle. Essayez de lui parler d’argent et vous la ferez pleurer : « Je ne sais pas pourquoi, mais cela me rend triste… », s’excuse-t-elle en se mouchant dans les manches de son blouson noir délavé. Phobie? Théâtre? Elle fournit un élément d’explication clé à sa vie : « Si j’en suis là, c’est que dix ans plus tôt, deux couples de Français et de Belges se sont mobilisés pour moi et m’ont payé ce bateau. »
Avec leurs doigts de fée, ces touristes bienveillants ont changé le destin de la jeune Matignon qui avait toujours rêvé d’être guide pour touristes (un des métiers les plus valorisants dans le pays).
Mais en 2011, le rêve s’est épuisé, il est bientôt minuit et il faudra rendre le carosse. « Je n’ai jamais eu assez d’argent pour entretenir correctement le moteur. Il consomme maintenant deux fois plus, l’essence est trop chère, je ne tiendrai pas bien longtemps… » D’autant que sa mère a besoin de soins et d’une chambre à l’hôpital depuis quelques semaines. « Je ne sais plus comment faire pour joindre les deux bouts… », souffle-t-elle.
Les Français ont changé le cours du destin de Matignon, mais ont-ils mesuré les conséquences de leur geste? Reconnaissante à vie envers les francophones, mais nouvelle pauvre, cette femme birmane auparavant si héroïque sur son bateau neuf, cherche aujourd’hui une solution pour limiter la casse.


Liberté je crie ton nom!

Ce matin, Ibrahim a du mal à émerger. Sans piper mot, il s’assoit sur le coin de son lit et allume une cigarette. Toujours sans rien dire, il sort de son sac une boîte de cirage et s’applique à faire briller ses chaussures. Étrange idée n’est-ce pas?
Mais derrière ce personnage complexe qui par fierté n’ose pas répondre devant moi aux sms que lui envoie sa chérie polonaise, se cache un homme sensible mais d’une redoutable efficacité.
Tout d’abord, ilestime que nous payons trop cher notre chambre. Il négociera pour faire diviser le prix par deux. En moins de 48 heures il aura tissé un tel réseau de contacts que nous pourrons rejoindre Brega et Rastlanof, deux sites stratégiques dans la lutte du peuple contre le régime de Khadafi, avec un militaire gradé qui a rallié les troupes rebelles.

Sur place, son bagou et son empathie feront le reste. Nous aurons le droit à une escorte spéciale composée de 4 combattants armés jusqu’au dents qui seront aux petits soins avec nous. L’un d’eux m’offrira le béret noir qu’arbore une partie des anti Khadafi.«C’est mieux ainsi n’est-ce pas Arnaud?» me dira t-il en souriant.
En fait, il est rapidement devenu le personnage central de la comédie humaine du café d’en bas. Et chaque soir, lorsque je le laisse palabrer là-bas, il remonte finalement pour m’annoncer une bonne nouvelle.
Mais au delà de ça, cet homme que j’ai vu éclater en sanglots dans les couloirs de l’hôpital général de Bengazi, touché au coeur par les atrocités d’une guerre inacceptable est un journaliste hors-pair. Homme de terrain en dépit des apparences son analyse très fine de la situation lui vaut la confiance de personnalités comme le Général qui a pris les commandes de la résistance contre les troupes du leader libyen dans l’Est du pays. Jusque là personne n’avait pu s’entretenir avec lui...
En conférence de presse face au porte parole du gouvernement provisoire, devant une cinquantaine de journalistes, il sera le seul à poser la question qui embarrasse et à insister pour obtenir une réponse. La nuit du bombardement du village de ... situé à 25 km de Bengazi dont personne ne fera état dans la presse hormis la chaîne arabe, nous seront seuls sur les lieux.
Oui j’avais raison de croire à cette rencontre surprenante. Ibrahim est digne de confiance et il me le prouve tous les jours. Ensemble nous sommes parfaitement complémentaires. «Oh véli good the picture Arnaud !» se plaît-il à me répéter toute la journée. Mais il ne sait écrire qu’en arabe. C’est bien dommage, car le monde occidental aurait bien besoin de son analyse. Et quand tout cela sera fini, il lorgne déjà sur la Jordanie...
Mais demain, nous avons rendez-vous avec l’avocat par qui la révolution s’est mise en marche. Une histoire que peu de gens connaissent qui fût pourtant l’étincelle du renouveau libyen.