Photos : A. Finistre / Textes M. Chevassus

Médias























Radio Campus nous a posé des questions à propos de notre expérience en Egypte.
Pour l'émission Médiapolis :
journaliste Charlène Raverat.


Pourquoi êtes-vous partis en Egypte, et comment avez-vous vécu la révolution?

Nous sommes partis en Egypte avec Arnaud Finistre, ancien photographe du Bien Public car nous voulions nous rapprocher de ce qu’on appelait la révolution arabe. En restant dans la région nous pouvions mieux comprendre ce qu’il s’y passait. A vrai dire, nous revenions tout juste de Birmanie, et là-bas, nous étions à l’écart de toute information internationale, du coup nous n’avons appris ce qui se tramait en Tunisie, en Egypte, au Bahrein qu’assez tard, en revenant du côté de Bangkok.

Nous n’avons pas vécu la révolution égyptienne à proprement parler, mais plutôt les semaines qui ont suivi la chute de Moubarak. L’air était encore imprégné de ce sentiment révolutionnaire victorieux, et les Egyptiens euphoriques étaient très fraternels ce vendredi 18 février, où ils ont fêté une semaine de liberté. Des centaines de milliers de personnes ont envahi les rues du Caire et ont célébré leur victoire tout en pleurant les 365 morts en martyrs. Et puis, ils ont commencé à lancer de nouvelles revendications sociales et politiques à destination du gouvernement de transition mené par le premier ministre Ahmed Chafik.
Cela-dit, nous avons rencontré des personnes qui ont vécu la révolution, nous allons les faire témoigner sur notre blog, Worldstoriz.

Quelles sont les relation entre les journalistes, le peuple, et les autorités?

Durant le révolution, les pro-Moubarak ont argué que les journalistes étrangers étaient des espions d’Israël ou des espions tout court. Du coup, ils se sont vus traqués, battus par la foule hystérique durant quelques jours. Une journaliste de la BBC s’est faite agressée, un autre aurait été abattu par un sniper. Clairement, le gouvernement Moubarak n’avait pas intérêt à ce que la presse internationale relate les violences perpétrées contre les Egyptiens. Une fois que la stratégie a été connue de tous, les Cairotes ont arrêté de soupçonner les journalistes et cela a été un grand soulagement pour eux, comme ont témoigné nos connaissances, un photographe américain et un réalisateur de Berlin.
Lorsque nous sommes allés au cœur des manifestations de la place Tahrir les vendredi 18 et 25 février, on nous a énormément protégé, et en apprenant que nous étions journalistes, les habitants nous ont très bien accueillis. Ils nous demandaient fièrement : « Montrez à votre pays ce que nous sommes en train de vivre ! Bienvenue en Egypte. L‘Egypte est libre.» Aujourd’hui, l’autorité a été remise aux militaires, ils laissent les journalistes travailler plutôt librement d’après ce que nous avons pu constater.

As-tu été gênée dans ton travail de journaliste?

Lorsque nous avons couvert les manifs de la place Tahrir, nous n’avons pas été gênés physiquement. A priori, les militaires nous laissaient passer où nous voulions. Sauf une fois, au moment où la foule s’est faîte plus revendicative et plus oppressante. Les militaires ont écarté tous les appareils photo. Cela-dit, nous étions assez libres. Les jeunes organisateurs de la manifestation s’étaient mis en rang pour fouiller les sacs et vérifier les passeports.
Plusieurs fois, on nous a proposé aimablement de nous conduire à travers la foule très compacte. Nous avons sympathisé avec pas mal de gens sur place.
Là où j’ai été gênée, c’est quand des indics du gouvernement visiblement, se sont mis à nous filmer à notre insu, à nous demander pour des raisons absurdes de prononcer quelques mots dans un téléphone, à nous demander bizarrement notre nom et où nous logions. Je me suis sentie suivie, épiée, pas libre de mes convictions. La révolution n’est visiblement pas achevée. La capitale est encore quadrillée par les renseignements.

Comment les gens communiquent-ils? Grâce à Facebook?

Les jeunes ont réussi à se mobiliser grâce à Facebook et Twitter. Ils ont constitué un réseau virtuel qui leur a permis de contourner leur peur à l’égard d’un régime de censure assez répressif.
Le mouvement du 6 avril, un groupe de jeunes militants démocrates qui a vu le jour en 2008 présents sur Facebook et Twitter, a lancé un sondage auprès des 17 millions d’internautes égyptiens en demandant : « Allez-vous manifester le 25 janvier? » Près de 90 000 personnes ont répondu oui (selon les informations de France 24). Ont suivi les plus grandes manifestations destinées à ébranler le gouvernement de Moubarak, arrivé au pouvoir en 1981.
D’ailleurs, dans l’espoir de saper leur force de mobilisation, le gouvernement Moubarak a coupé les connections de tout le pays durant plusieurs jours. Un véritable tour de force, du jamais vu auparavant.
Ces jeunes ont organisé un mouvement de contestation pacifique énorme (des centaines de milliers de Cairotes et des millions d’Egyptiens) Ils ont fait valoir leurs requêtes à l’égard du pouvoir. Et galvanisés par la réussite tunisienne, ils demandaient donc à l’ex-dictateur de partir. Ils étaient néanmoins soutenus par d’autres groupes d’opposition comme le mouvement Kefaya (ça suffit) opposants laïcs depuis 2004, mais aussi, un peu plus tard par les Frères Musulmans.
Une autre force des jeunes, a été le téléphone portable, par le biais duquel ils communiquaient facilement. Les forfaits sont peu chers, ils ont la 3G. Le téléphone leur a permis de renforcer les rassemblement par le bouche-à-oreille, de se tenir informés, et bizarrement aujourd’hui, c’est l’armée au pouvoir qui prend le relais. Elle envoie les informations relatives à la politique étatique au coup par coup par sms à tous les Egyptiens. C’est d’ailleurs assez déstabilisant de recevoir en tant qu’Européen, un texto de la part des forces armées.


D’autres utilisent le biais du blog?

Selon les notes diplomatiques américaines publiées par Wiki Leaks, ils seraient 160 000 Egyptiens à blogger activement. Sur une population de 85 millions d’habitants. Mais cela va du blog perso au blog militant. Je n’ai pas trop survolé la blogosphère égyptienne pour la bonne raison que c’est écrit en arabe. En revanche, les bloggeurs occidentaux sont plutôt intéressés par la question de la révolution.

Les réseaux sociaux ont-ils aidé à changer les choses?

Je ne sais pas s’ils aideront à mener la révolution à son terme en évacuant tous les anciens du gouvernement Moubarak, mais en tous cas, ils ont changé la vie d’une petite Egyptienne puisque ses parents lui ont donné le doux nom de Facebook. Plus sérieusement, les réseaux sociaux ont aidé à mobiliser les masses, sur le court et le long terme, et surtout, à contourner la peur du régime sous lequel la liberté d’expression était absente. Les opposants et les critiques du régime avaient de grandes chances d’être emprisonnés ou de disparaître tout simplement sans que l’on sache où la police les avait emmenés, voilà ce que nous confient les habitants du Caire, soulagés.

Y a-t-il plus de liberté d’expression?
Aujourd’hui, c’est indéniable. Dans les conversations, tout le monde se plaît à nous demander notre avis sur la chute de Moubarak. C’est significatif. Auparavant, si nous avions osé leur demander un avis sur la politique, ils auraient fait comme Ahmed, manifestant de 23 ans : « Je faisais un sourire en disant que je ne souhaitais pas en parler  de peur de me faire embarquer». Aujourd’hui, cette jeunesse autrefois censurée tient des drapeaux et a même obtenu récemment le départ du premier ministre Ahmed Chafik que tous accusaient de diriger le pays telle une marionnette de Moubarak. Pas dupes.