Photos : A. Finistre / Textes M. Chevassus

vendredi 11 février 2011

Myanmar number one!

Quand deux journalistes de vocation décident de partir en Birmanie, ils se heurtent à une première barrière assez claire, c’est qu’on ne veut ABSOLUMENT pas d’eux. Ecrivains, photographes, fouilles-merde et assimilés, non merci. Pas de ça chez nous.
En même temps, quand on doit cacher des DEPLACEMENTS de population, des CAMPS de travail et une absence quasi-totale de liberté d’expression, on préfère les vacanciers qui ne posent pas de questions et qui font leur tour de bateau à moteur comme on leur a demandé. Bon, nous, ce n’était pas trop notre genre. On voulait plutôt découvrir ce qu’il y a « BEHIND THE DOORS » comme ils disent tous avec un air mystérieux et consterné. Arrivés à Yangoon, on a posés nos sacs à dos dans une guesthouse sombre tenue par une mamie pas marrante. Ce jour-là, elle s’énerve un peu parce qu’elle a besoin de nos numéros de visa et de passeport rapidement : un OFFICIER délégué du gouvernement attend les informations. Il passe tous les matins les récupérer afin de connaître tous les mouvements de touristes. On sort boire un thé après s’être passablement fait engueuler.
On commande : deux lapayè tchow (thés au lait concentré sucré). Deux tasses arrivent pleines à ras bord et avec elles, deux mecs bizarres s’asseyent à deux mètres de nous et commandent … rien du tout. Comme tout ESPION qui se respecte, ils ont un journal qu’ils font semblant de lire. Voilà, fallait le savoir, tous les touristes sont suivis au cours de leur voyage au moins une fois.
Donc on s’est tenus tranquilles au début : la PAYA SHWEDAGON, ce monstre sacré en or du centre-ville de Yangoon, un incontournable touristique. On y passe l’après-midi sous un soleil de plomb, comme dans un square. Tous pieds nus, on se balade en attendant le coucher du soleil, moment précieux où la pagode scintille et où le diamant énorme perché au dessus renverra différentes couleurs selon le lieu duquel on le regarde. C’est aussi BAGAN et ses milliers de stupas, des tas de briques à peu près pyramidaux dans lesquels on trouve un BOUDDHA assis face à la porte d’entrée et souvent un passage secret dans l’épaisse muraille pour grimper au dessus et observer le champ sacré, vieux comme le monde. Là-haut, il a beau être cinq heures et demie du matin, on est pas vraiment seuls. Une demi-douzaine de photographes japonais avec des zooms énormes se concentre la bouche pâteuse sur leur sujet. Tout le monde est pieds nus ou en chaussettes, parce qu’il fallait laisser les pompes en bas. C’est ensuite le LAC INLE, soit disant réserve naturelle, mais en réalité envahi par les bateaus à moteurs (voir la rencontre avec Matignon dans « On les a rencontrés » ) depuis 1999 à peu près. Le niveau d’eau baisse avec les années, car les moussons sont moins importantes depuis trois ans. GLOBAL WARMING. La conséquence? Les villageois ne peuvent plus se déplacer en barque, ils craignent également pour leurs cultures alentours (tomates, fleurs, piments, céréales, etc.) et leur faune aquatique.
Voilà pour le tourisme.
Ensuite, il y a eu les découvertes.
Il y a eu la rencontre avec les MOUSTACHE BROTHERS, ces comédiens jouant à domicile, étroitement surveillés par le gouvernement et qui s’acharnent à critiquer les travers de la société birmane et de son gouvernement. L’un d’eux, a été envoyé en PRISON et en camp de travail trois fois dont un séjour de sept ans, pour avoir blagué sur les généraux.

Il y a eu des balades dans les villages Shan et Palaung, des hauts-lieux de la lutte INDEPENDANTISTE des années 1980, toujours en veille, prêt à prendre les armes au moindre durcissement du gouvernement.
Il y a eu notre peur de se faire suivre les soirs dans la rue ou même ARRETER avec des images déplaisantes. La police vient dans la nuit vous arrêter à votre domicile, pour les locaux, ils partent directement en prison ou en camp après un semblant de jugement, pour les étrangers, ils finissent tout simplement à la frontière et repartent avec un coup de pied au cul et plus de pelloche.
De retour en Thaïlande, pays LIBRE, nous avons rencontré à la sortie de l’avion, une collaboratrice d’ONG indignée par la situation des minorités dans le Rakhaing : « l’Etat procède à une BIRMANISATION des populations, une sorte de purification ethnique via des mariages et des villages modèles (impliquant des prisonniers et des prostituées afin de les mélanger). Ils voudraient que tout le monde soit Birman et bouddhiste. Mais l’Union du Myanmar est faîte de multiples MINORITES revendiquant leur autonomie. Ils envoient les dissidents en camps de travail où les conditions de détentions sont déplorables, les prisonniers tapent du caillou sur le côté des routes ou travaillent dans les champs, un BOULET au pied. »

Birmanie, sans voix

De retour de Birmanie après un mois, nous voici de nouveau sur le blog pour TEMOIGNER.

Que me cache-t-on?

J’ai été étonnée de trouver un sourire sur toutes les lèvres lorsque je j’en lançais un. Les gens, dans un pays non-libre ne sont-ils pas censés pleurer sur leur sort ou préparer une rébellion? Que me cache-t-on ici? Les check points abandonnés sont nombreux à Yangoon, comme dans un pays qui vient de cesser une guerre. Alors comment est cette nouvelle capitale, Naypyidaw, à laquelle je n’ai pas vraiment accès? Fermée, barricadée? Fantôme ou capitaliste?
Mes hôtes, dans les guesthouses veulent savoir ce que je fais, qui je suis, où je vais. A Kyaukme, on fait dix photocopies de mon passeport pour chaque autorité de cette petite ville de 80 000 habitants. De quoi avez-vous peur? Je voulais aller à l’est, au nord du pays... Les zones me sont fermées? Que me cache-t-on...



Touriste ou voyageur?
Doit-on voyager en Birmanie, doit-on éviter de financer la junte militaire au pouvoir en se gardant d’entrer dans le pays? Je crois que la voie juste à suivre est celle du voyageur et non celle du touriste, le premier évite de passer des vacances de plaisir dans le pays mais se rapproche des Birmans et de leur quotidien. Ainsi, il apporte une certaine ouverture, un peu d’air frais à un pays dont les frontières sont fermées pour ses ressortissants (leur passeport ne permet que d’entrer dans cinq pays d’Asie du sud-est). A l’inverse, le touriste universel consomme du monument et s’extasie sur les paysages, tout en renflouant les caisses de l’Etat autoritaire. Il parle anglais, mange aseptisé, trouve les Birmans gentils et le pays d’un rapport qualité prix qui n’est pas exceptionnel. Renfermer le pays dans son propre cliché... Ce n’était pourtant pas leur intention.

Yangoon et Mandalay, elles ont -presque- tout des grandes
Une impression de vieille Europe s’impose parfois avec ces anciens bâtiments coloniaux décrépis, aux coulures humides, aux fissures inquiétantes. Quatre étages qui paraissent abandonnés, des bow-windows so british, une couleur vert menthe tirant sur le vert moisissure.Les autres appartements sont basiques, par les fenêtres entrouvertes, on aperçoit les néons éclairant le salon des appartements que l’on devine décorés de boiseries kitsch. Donnant sur la rue, les échoppes - une pièce mal éclairée prolongée d’un semblant de cuisine sombre et d’une salle d’eau humide - font offices de lieu de vie familial. Dans celui-ci, on regarde les soaps en famille, entassés sur un canapé, devant celui-là, on donne à manger au petit dernier, assis sur les marches, au contact de la vie. Les gamins se sont procurés une balle creuse en osier et joue en cercle à dribbler avec, ça s’appelle le chinlow. Les garçons portent comme leurs pères le longyi, une jupe faite d’une pièce de tissu cousue en tube. Ils la replacent sans arrêt, comme un tic. Pour jouer, ils la remontent en short à la façon des Indiens du sud.
Les rats sortent des embouchures d’égoûts, direction les petits tas de déchets mis en sac plastique. Un peu plus loin, les échoppes à riz vendent un ou deux plats façon cantine. On y mange à 50 centimètres du sol, soi installés sur une table commune face à la femme qui prépare les assiettes, soi sur des petites tables et chaises en plastiques, qui seraient destinées en Europe, aux enfants. Ces terrasses improvisées sont également celles des tea centers, dans lesquels on vous propose un thé renforcé de lait concentré sucré.La tradition veut que le consommateur puisse boire à volonté du thé vert de Chine en même temps. Donc un thermos et des petites tasses sans anse sont disposées sur les tables à votre arrivée. Le thé au lait... en colonisant cette dépendance de l’Inde, les Anglais ont décidément imposé leur marque de fabrique. Tous les hommes d’un certain âge mais aussi les étudiants en pleine émancipation en raffolent. Ils viennent s’installer là et causent entre eux calmement.
Les Birmans sont fans de reprises de tubes américains et spécialement celles des Iron Cross - une sorte de boys band quinquagénaire qui aime chanter Bon Jovi et Coldplay . Mais aucun jeune ne connaît la première version, et, pas sûr qu’ils puissent se la procurer. Pour mieux pouvoir contrôler les paroles et éviter au peuple de s’attarder sur ces idées rebelles qui pourrissent les Occidentaux? Même chose pour le rap, je demande à un garçon de mon âge fan de hip hop quels artistes américains il écoute. Il ne peut me citer que des noms birmans. Bonjour l’ouverture. En même temps, à quoi bon lorgner sur l’Occident puisque les voisins immédiats sont les puissances du futur, la Chine et l’Inde. Et puis, les anciens oppresseurs identifiés sont la Grande-Bretagne et le Japon. L’ancienne alliance de l’Ouest.
«Malgré la libération d’Aung San Suu Kyi, je crois qu’en Birmanie, rien ne changera. J’en parle avec mes employés, ils pensent que le gouvernement est bien installé et que la démocratie reste un rêve lointain.» Un entrepreneur français de Koh Tao

«Le système les a pervertis, aujourd’hui, ils sont secrets. Ils peuvent devenir voleurs, partir du jour au lendemain sans vraie explication.»