Photos : A. Finistre / Textes M. Chevassus

lundi 15 août 2011

Mohamed, Isnano, Hassan et les 400 000 autres

« Je suis sûr qu’il va pleuvoir », Mohamed regarde avec un peu d’espoir le ciel menaçant. Voilà trois ans que la situation est vraiment critique dans les régions désertiques de la Corne de l’Afrique. L’eau n’est pas tombée régulièrement sur ces terres arides et a achevé d’assécher les sols, tué les cheptels de ces populations villageoises tirant leurs principales ressources de l’élevage. L’horizon est gris, mais aucune goutte ne tombe.
Les Somaliens déjà éprouvés par des années de conflit, ont pris la route après avoir vendu tout ce qui leur restait. Ils se dirigent vers un camp, tristement réputé pour être le plus grand du monde, avec l’idée qu’ils y seront bien accueillis, qu’ils pourront y recommencer une vie nouvelle.
« J’ai dû les porter à tour de rôle durant 10 jours de marche épuisante », Isnano est une grand-mère de 60 ans, venue seule avec ses trois petites-filles de 6, 7 et 9 ans. Arrivées affamées au centre de réception de Daghaley, le site le plus au nord de Dadaab, elles ont reçu des habits, une ration de nourriture, et se sont faites examiner et vacciner par l’ONG Médecins Sans Frontières après une longue attente.
La vague d’arrivée a été telle, 127 000 personnes depuis le 1er janvier 2011, que les trois sites constituant le camp ont été submergés. Autour se sont construits des « outskirts », soit des ceintures où les nouveaux arrivants construisent des abris de fortune, en branchages recouverts de sacs plastiques, de cartons, de tissus quémandés aux voisins installés et déjà enregistrés par l’autorité du Haut commissariat aux réfugiés des Nations Unies (UNHCR).
Hassan est arrivé la nuit dernière de Jamaame : « On m’a donné des rations de nourriture et quelques biens de première nécessité. Avant d’être enregistré en tant que réfugié d‘ici une soixantaine de jours, je devrai m’en sortir grâce aux dons des autres » , et il devra payer en nature pour obtenir des services. Pour répondre à ces besoins, on craint des cas de prostitution occasionnelle, la dernière solution de survie pour les plus vulnérables.
Dans l’urgence, et devant le refus initial du gouvernement kenyan à ouvrir d’autres camps, L’UNHCR a créé une extension au camp d’Ifo. L’ONG s’apprête à mettre en place Kambioos et à ouvrir Ifo II, depuis que le premier ministre a donné son assentiment, afin de désaturer les emplacements existants, de vider les périphéries et d’installer d’autres tentes. En attendant, les nouveaux arrivants sont encore à l’heure actuelle sans vrai espoir. « Dans certaines périphéries reculées, les réfugiés n’ont ni latrine, ni eau, ni structures, ce qui fait redouter le déclenchement d’épidémies comme le choléra » , commente Emilie, membre de l‘ONG française Acted.
Une situation qui devrait s’installer, un peu le même cas de figure que pour les réfugiés de 1991.
Arrivés 20 ans plus tôt de Somalie, ils ont eu le temps de construire des maisonnettes en torchis, des magasins en tôle ondulée, un semblant de vie de village autour d’un marché relativement florissant. Dadaab est d’ailleurs devenu un point attractif de la région. Les villages alentours souffrant également de la sécheresse, certains habitant viennent se faire enregistrer en tant que réfugiés, dans leur propre pays. Ils savent que les produits affluent sur les étals : importés de Somalie ou arrivés en tant qu’aide internationale et revendus dans les camp. Selon Acted, ces communautés du nord Kenya sont menacées d’une véritable catastrophe alimentaire a fortiori si les prochaines saisons des pluies n’avaient pas lieu.

Sur la route de Dadaab

La route pour Dadaab est en soi une aventure. Je connaissais le mot « bumps » en anglais, il me servait à décrire les soubresauts causés par les ralentisseurs, en ville. Aujourd’hui, il a pris une toute autre dimension. Un bump est comme une unité de mesure. C’est environ 20 centimètres de décollage du siège, une seconde de lévitation, une fois toute les dix minutes environ. Dadaab est à environ 45 bumps de Nairobi, c’est-à-dire huit heures de voyage. Non-stop.
Jusqu’à Garissa, l’est kenyan semble à peu près viable. Une route, de plus en plus ajourée, court en direction de la Somalie. L’eau a fait pousser les derniers feuillus. Mais après Garissa, elle s’est définitivement évaporée. Sept ans qu’il n’a pas plu comme il fallait. La piste se couvre d’une épaisse couche de sable ocre, les arbres râblés portent des épines, rarement des feuilles.
Blanchi par la poussière, le paysage a soif. La terre fine colore l’air, emplit les poumons, étouffe les vieilles musulmanes en plein jeûne du Ramadan. Pas d’eau, seulement ses larmes qui sortent à gouttes comptées sous l’effet de la toux. Comment peut-on vivre dans un milieu si minéral? Où même l’air est chargé de particules solides, où la sécheresse s’empare des gorges puis des esprits, où l’on se sent abandonnés par le monde vivant. La carlingue du bus est brûlante. Il fonce à vive allure au milieu du bush déserté.
Sur la route galopent des mini-bambis pas plus haut que des chats, sautant merveilleusement bien sur le bord de la piste (des hallucinations?) mais aussi ce qu’il conviendra d’appeler des « espèces de vautours bizarres », croisement entre le charognard de westerns et le pélican.

De l'autre côté du miroir

Elle coupe le centre en deux. Traverser la Moi Avenue, c’est poser le pied dans un monde diamétralement opposé au Nairobi, disons… chic. De l’autre côté de l’artère à 4 voies, les passants sont cinq fois plus nombreux. Pas un étranger ne s’y promène. Et plus on avance vers l’est, côté Eastleigh avenue, plus le sentiment de s’enfoncer dans l’Afrique profonde s’impose. « Mon métier à plein temps, c’est de pousser ce diable », informe Mohamad au coin d’une rue. Bientôt rejoint par cinq collègues en tenue de travail, il apprend comment des pays comme la France ou les Etats-Unis se servent encore de cet outil infernal au quotidien. « On serait donc pas si arriérés que cela… »
Quelques minutes de matatus (transport en commun local) plus tard, nous arrivons sur Eastleigh avenue. Eastleigh n’est pas un bidonville, mais à côté le Bronx est un quartier résidentiel - et Fifty Cent, un gosse de riche. Une sorte de pollution noire plonge les environs dans une ambiance post-apocalyptique cradingue, parfois suffocante. Des foyers réduisent en cendre les dernières poubelles qui n’auraient pas été recyclées par les vaches ou les enfants des rues. Des pneus éventrés gisent en tas sur un côté de la route, ils sont recyclés en tongs du désert, increvables. La circulation est chaotique, encombrée. Les trottoirs sont optionnels et l’on fabrique du charbon sur des terrains vagues, au milieu des flaques noires et des sacs plastiques.
Nous devions rejoindre la station de bus de l’est afin d’y retirer un ticket de bus pour Dadaab. Pour info, il s’agit du plus grand camp de réfugié existant sur terre. Un ventre affamé depuis des années, un « enfer à ciel ouvert » comme titre le Nouvel Obs. Question enfer, je croyais qu’on y était presque. Mais, non, il y a toujours pire. Sauf que notre imagination occidentale a des limites.

Nairobi

Nairobi se situe entre Le Caire et Rangoun, l‘Egypte citadine et la Birmanie oubliée. Pour son odeur de grillé flottant dans les rues, pour ses avenues larges du quartier administratif, pour son trafic anarchique et cabossé.
Nairobi a aussi le goût de l’Inde. La pollution poussiéreuse de Madras, le ciel gris humide de Dehli, les poulets biryanis et le thé masala dans les restaus locaux.
Mais là où le Kenya s’affirme dans ses plus belles couleurs africaines, c’est avec les enseignes vert pomme de Safaricom, sa monopolistique et ubiquitaire marque de gaudasses Bata. C’est aussi avec ses spécialités culinaires comme l’Ugali, pavé de polenta blanche accompagnée d’une louche de koundé, feuille proche de l’épinard en moins amer, sans oublier la chèvre rôtie et le Tilapia pané… le lait de chamelle aussi.
Caricature d’elle-même, on aborde l’Afrique de la rue sans surprise.
Les hommes d’affaires intouchables en costume impeccable et chaussures cirées naviguent avec détachement au milieu des voitures pourries sur des trottoirs défoncés. Les flics arborent un casque de baseball noir avec insigne Converse bleu marine au front. Plantés dans le centre-ville chic avec une régularité impressionnante, ils semblent attendre sur leur base imaginaire que Gaudot leur renvoie une hypothétique balle. Les enfants des rues abordent les Occidentaux par grappes en quémandant quelques sous, aussi motivés que s’ils allaient se coucher. Sur les routes extérieures, la terre rouge s’envole avec le passage des Isuzu, et des Toyota, les palmiers et autres arbres géants dispersent leurs feuilles, ramassées quelques mètres plus bas par des cohortes de femmes armées de balais, gilets et fichus aux couleurs municipales, rangées sur le bas-côté. Dans les quartiers chics, vers Westlands, les ONG sont légion.

samedi 23 juillet 2011

La Terre sainte, vraiment?

La concentration de religiosité dans l’air n’est pas un bon indice pour déterminer si un terre est sainte ou pas. De même que l’obéissance acharnée aux rituels ne fait pas le bon croyant, l‘excès de preuves religieuses situées sur un même territoire ne lui confère pas le titre de paradis. Alors bien sûr, Jésus a foulé le sable de Palestine , Salomon et David y ont édifié leur temple, un grand nombre de prophètes des trois religions du Livre y ont vécu un temps. Et peut-être même que la fin du Monde aurait lieu là-bas selon les différentes eschatologies.
Mais il flotte dans l’air un je-ne-sais-quoi de pas très saint, ni sain d’ailleurs. Les proches qui y sont allés ont généralement retenu de leur voyage : « un climat tendu », « des habitants assez froids, méfiants », des inégalités criantes entre les habitants, une rugosité des caractères (lire sur 365degrés : Pâques, ce que vous n’auriez pas dû savoir). Dans l’intimité les habitants sont pourtant des personnes adorables, avenantes, chaleureuses… La guerre contre le voisin aurait-elle entamé leur moral? Seraient-ils à cran, ceux qui, pour une partie, avaient pourtant décidé de s’installer en Israël afin de revenir aux sources de leur foi, sur cette terre que Dieu, sont-ils sûrs, leur a destinée? Seraient-ils à bout, ceux qui clament depuis 1948 qu’on leur vole leurs champs et que l’on détruit leur propriétés sous les yeux d’une ONU impuissante? Les uns se lamentent de la perte de civils, tandis que les autres demandent que l’on arrête de tuer leurs enfants. Tous aimeraient un traité de paix. Trop difficile tant les intérêts des uns annihilent les droits humains des autres. Trop difficile tant l’esprit de conquête est ancré d’un côté - est invoqué le droit à s‘installer sur la Terre promise conféré par les victoires aux différentes guerres israélo-arabes, les traités et le plan de 1948. Trop difficile tant l’esprit résistant - appelé aussi terrorisme selon les points de vue, est installé de l’autre.
Voilà. Et puis, il y a aussi ce que l’on ignore, ce qui est caché, et comme je ne veux pas prendre parti, je laisse la parole aux soldats israéliens qui ont ressenti l’urgent besoin de la prendre. En anglais, ils racontent leur expérience en Cisjordanie. http://www.breakingthesilence.org.il/

Silence radio

Silence radio

Difficile d’écrire depuis la Cisjordanie. Ce territoire occupé par les forces militaires israéliennes renferme un peuple prisonnier. Les exactions commises à son égard chaque jour sont cachées aux yeux du monde voire justifiées par les arguments : « Ce sont des terroristes » ou bien « Les torts sont partagés, c’est trop compliqué, personne ne peut comprendre exactement qui a raison.  » Les Israéliens eux-mêmes n’ont pas accès à une information très neutre ou complète, ils ne savent pas exactement ce qui se passe derrière cet immense mur de 8 mètres censé les protéger des actes terroristes. S‘ils se rendent de l‘autre côté, les Israéliens sont susceptibles d‘être conduits en prison. Seuls une poignée de colons venant s’installer sur les terres palestiniennes savent de quoi sont faites les persécutions quotidiennes. Les vidéos le montrent clairement. Elles sont devenues l’arme des Palestiniens pour lutter contre l’oppression, pour informer le monde.
L’ONG israélienne B’Tselem (centre israélien d’information pour les droits de l’homme dans les territoires occupés) protège les résistants palestiniens qui veulent filmer les exactions dont-ils sont victimes.
http://www.btselem.org/ Leur site donne des informations précises (statistiques, chiffres, vidéos, photographies, témoignages) à même de clarifier la situation actuelle.
D’autres vidéos sont diffusées sur le site http://www.popularstruggle.org , notamment sur Nabi Saleh où les répressions de manifestations pacifiques sont de plus en plus violentes. L’argument israélien serait : « pour éviter la propagation de la contestation aux autres villages ». http://www.popularstruggle.org/image-galleries/nabi-saleh

jeudi 12 mai 2011

Pâques, ce que vous n'auriez pas dû savoir...

Pâques est pour les Chrétiens du monde entier un intense moment de spiritualité que l’on partage. Surtout dans une capitale religieuse comme Jérusalem. L’assertion semble évidente, et claire comme de l’eau bénite. Mais en sommes-nous bien sûrs? Quelques pas dans la ville des trois religions du Livre ont plutôt tendance à nous prouver le contraire. Passage en revue des couacs, des flop et des wizz.

Croche-patte devant le tombeau du Christ
Quand les pèlerins s’accrochent avec des religieux orthodoxes devant le tombeau du Christ, ça fait crac, boum, hue dans le Saint-Sépulcre. Edmond, 73 ans et ses deux amis, Suisses de Bâle, sont venus ensemble pour un pèlerinage d’une semaine en Israël. Leur passage par Jérusalem les laisse un peu perplexes : « Ce qui m’a le plus surpris, c’est que des gens sur-énervés (pélerins et religieux)en viennent aux mains à l’intérieur d'un lieu saint. Je ne m’attendais pas vraiment à cela en venant sur la tombe de Jésus. » Depuis enfant, il rêvait de poser une fois au moins le pied en Terre Sainte, c’est chose faite.

Checkpoints sur le chemin de croix
« Laissez nous entrer dans nos lieux saints! Nous sommes des pèlerins. Nous sommes venus ici exprès! Et vous allez me dire que je ne peux pas accéder à ma messe!? » lance un père de famille agacé par les barrages imperméables, bloquant l’accès au Saint-Sépulcre. Si l’atmosphère a été un peu tendue entre les jeudi et samedi saints, c’est que l’affluence dans la vieille ville était très importante. En effet, 250 000 personnes sont venues en pèlerinage à Jérusalem pour Pâques, soit l’équivalent d’une ville moyenne comme Dijon qui se rajoute à un espace d‘une superficie inférieure à un unique kilomètre carré. Parmi eux environ 100 000 chrétiens. Les autres sont des Juifs venus fêter Pessah et se recueillir auprès du Mur des Lamentations. Un nombre record selon le ministère du Tourisme israélien. Du coup, les rues bondées sont gérées par la sécurité, soit un panaché de militaires et de policiers.

Droit d’entrée illégal
Las d’attendre, certains pèlerins pensent à des solutions de contournement. C’est le cas de Max, un Russe de 23 ans un peu pressé, qui « n’en croit pas encore ses yeux d’être ici » et qui « ne veut pas faire l’impasse sur les célébrations ». Il a entendu une rumeur selon laquelle on pouvait passer outre les barrages, moyennant une somme de 100$ cash. En effet, quelques minutes plus tard, un homme s’avance et propose ses services moyennant 20 $ par personne. Il s’est procuré un laissez-passer officiel, il prétend pouvoir le faire entrer.« Ne va pas avec lui, prévient Usama, un jeune vendeur de rue,je ne le sens pas. Et n’essaie pas de contourner les check points en payant le gérant du café pour qu’il te fasse traverser.» Max suit son guide malgré tout, sous l‘œil inquisiteur des policiers. Ils disparaissent ensemble dans les ruelles. Usama l'a pourtant avertit :"S’ils te prennent sur le fait, je te jure que tu vas passer un sale quart d’heure! Tu garderas un très mauvais souvenir de Jérusalem"

En parlant de souvenirs de la ville…
Un commerçant installé dans le coude d’une petite ruelle débouchant sur l’église du Saint-Sépulcre pointe du doigt son étal. Il explique à ses clients : « Voilà une croix en bois sacré, elle est confectionnée à la main. » Si Baha, 27 ans, vend ses souvenirs suffisamment régulièrement pour entretenir correctement son fond de commerce, c’est qu’il a un argument de poids. « Les objets religieux se vendent bien. Et en particulier les rosaires, les cierges, les huiles saintes et les croix. » Prix du crucifix: de 10 à 500 shekels (soit 2 à 100 euros). Matière : bois d’olivier. Lieu de provenance : Bethléem. Taille : 15 à 50 centimètres. « Les pèlerins font leurs achats à Jérusalem, car nos articles proviennent de lieux saints. » L’argument fait mouche, certains croyants tiennent cinq à six crucifix à la main. Des cadeaux souvenirs pour la famille?

Fous de Dieu
Il a beau déambuler pieds nus dans les rues pavées et glissantes, porter une toge blanche à la façon antique, arborer une barbe et des cheveux mi-longs, il n’est pas si fou que cela. James est originaire de Détroit dans le Michigan. Ses allures de Jésus lui ont valu de recevoir le surnom de Jesus Guy aux Etats-Unis où il est bien connu des médias. Un documentaire a même été réalisé en 2007 par Sean Tracey sur son histoire. « J’ai découvert ma voie dans le catholicisme il y a 19 ans maintenant », une révélation pour ce cinquantenaire qui se cherchait à l’époque (Gandhi ou Bouddha?), et s’est trouvé dans les Evangiles offerts par son père. Jérusalem est connue pour provoquer un syndrome bien particulier, rendant fou les croyants sûrs d’être devenus saints ou des personnages bibliques, tellement le choc émotionnel est grand. Une Anglaise notamment, au début du siècle s’est mise à attendre l’arrivée du Messie sur le Mont Scopus, avec .. une tasse de thé. Mais James, lui, n’est pas de ceux-là. (Son portrait bientôt dans On les a rencontrés)

Appareils photos

« S’il vous plaît attention à ne pas mettre le flash dans l’église. » Les religieux arméniens n’avaient pas pensé au flot de touristes qui débarqueraient en plein milieu de la messe du lavement des pieds. Comme un seul homme, tous les bras se lèvent, perché à leur extrémité, à bout de doigts, un appareil photo. Flash! Clic Clac! C’est dans la boîte. Une quarantaine d’écrans LCD brillent comme autant de chandelles, les points rouges font la mise au point sur les prêtres, un petit bruit d’agrément indique que la photo a été prise. « Personnellement, ça ne me dérange pas, je ne trouve pas que cela enlève au charme de la célébration. Je n’utilise pas d’appareil photo, même si j’aimerais faire des images souvenirs. La raison? J’ai peur qu’ici, on me le vole », confie Olga, pèlerine ukrainienne de 27 ans.

Et la piété dans tout ça?
La question est cruciale. Une des réponses les plus illuminées vient de Bjorg, norvégienne de 65 ans :  « L’atmosphère n’a rien de très pieuse pour un lieu de pèlerinage en pleine semaine sainte, mais bon. On fait avec. Je prends des photos, je sais intellectuellement que ce sont les lieux où a vécu le Christ. Voilà. Pour la spiritualité et le reste, c‘est ici que cela se passe», tapant sur son cœur.

mardi 19 avril 2011

La fête des Rameaux à Jérusalem

Une semaine avant Pâques, on célèbre l’arrivée triomphale de Jésus dans la vieille ville de Jérusalem. Il fait chaud sur le Mont des Oliviers, la route identifiée par la Bible serpente le long de la colline, traverse le quartier arabe puis le cimetière juif. Des milliers de pèlerins du monde entier se sont joints aux Chrétiens de Palestine pour chanter leur joie d’être rassemblés sur les lieux saints. Philippins, Brésiliens, Polonais, Français, Egyptiens, Erythréens, Anglo-Saxons faisaient partie de la procession joyeuse.

mercredi 6 avril 2011

Worldstoriz ... du nouveau

Worldstoriz se sépare de son avatar axé sur le voyage World 365°, accessible sur http://365degres.blogspot.com

vendredi 11 mars 2011

Aux côtés des insurgés

Actualités croisées : Si la guerre m’était contée par … les Insurgés.

La guerre lente, aux côtés des insurgés sur le front de Ra’s Lanuf

Les informations défilent vite, avec leur lot de morts et d’offensives sur le grand compteur de l’actualité libyenne. Vu de l’extérieur, la zone est chaude. Sur place, au quotidien le temps s’égrène plus lentement. Les hommes en faction à l’est du front de Ra’s Lanuf attendent, l’arme au poing que les loyalistes du dictateur Kadhafi contre-attaquent. Incursion en terre rebelle.

Hier après-midi (mercredi), dans la salle de presse de Benghazi, l’info est tombée : Ben Jawad, le premier verrou stratégique de la région Tripolitaine a sauté. Le village frontière est au mains des insurgés. La nouvelle fait sursauter de joie pendant un petit moment, mais on se ravise, l’aviation a également réussi à toucher la raffinerie de pétrole de Ra’s Lanuf, le site le plus important d’Afrique.
Depuis la France, ce ne sont que deux lignes de plus dans un fil d’informations qui se succèdent. Mais les avancées de ce type prennent une toute autre signification lorsqu’elles sont vécues depuis le front, où l’attente dans ce désert vide de promesses immédiates favorise le doute. Où la conviction de suivre une noble destin est le seul costume et la seule arme valable pour ces troupes inexpérimentées.

"Pour que nos enfants n'aient plus à vivre les exactions de ce régime"

A Ra’s Lanuf, les combattants sont des hommes ordinaires, animés par une soif de liberté. Ils ne sont pas entraînés, ils ne sont pas militaires de formation, la plupart n’a jamais manié une arme à feu. Il y a des jeunes, des plus vieux, ils ne travaillent plus depuis que la société est paralysée. Alors, ils tentent d’aider leur cause. Beaucoup d’entre eux ont rejoint le mouvement suite à une triste histoire : un père de deux enfants explique : « Ils ont tué ma femme, je n’ai plus rien à perdre ».

Les plus aguerris, d’anciens militaires, occupent des postes-clé. On trouve beaucoup d’anciens combattants du Tchad. Ils tentent d’organiser cette rébellion, mais les ordres viennent de Brega, situé à 150 kilomètres de la ligne de front. Aussi, certains commencent à se décourager un peu. La plupart dorment dehors. Ils sont mal équipés, et n’ont pas de réelle tactique. Lorque le vent se lève et balaie ces étendues désertiques, il y a vraiment de quoi déchanter. Ils attendent là et ripostent comme ils peuvent aux bombes lancées par l’aviation contrôlée par les forces loyalistes.
Malgré tout, ils ne baissent pas les bras. Ils savent peut-être qu’ils sont moins nombreux, moins bien équipés, mais leur combat est noble et justifié. Et avec la présence des journalistes, ils se sentent soutenus. Beaucoup paradent sous les objectifs, fiers de leur combat. Les effigies de Kadhafi sont livrés à la vindicte populaire, on se défoule sur lui en attendant le prochain raid aérien.

S’ils ne sont pas des professionnels de la guerre, pour autant ces combattants-pères de famille, en civil (baskets, jean ou jogging, parfois djellaba), n’ont pas peur de mourir «Toutes ces exactions commises à notre encontre par le régime de Kadhafi nous renforcent chaque jour un peu plus. Nous sommes solidaires et prêts à aller au bout quoi qu’il en coûte. Nous n’avons plus rien à perdre. Nous donnerons nos vies s’il le faut pour que notre jeunesse ne vive plus ainsi», explique courageusement un homme d’un certain âge. Lorsqu’une bombe tombe à proximité de Ra‘s Lanuf, on court pour se mettre à l‘abri, sans paniquer. Seuls les hommes installés sur les batteries anti-aériennes continuent de tirer dans un vacarme assourdissant. Une fois l’orage passé, tout le monde revient en hurlant « Dieu est grand », priant que les frères postés plus loin dans le désert ne se soient pas fait toucher. Ca sent la poudre. Et pour cause, les rebelles manifestent leur joie de pouvoir résister à l’aviation en tirant des rafales de kalachnikov en l’air sans se soucier du stock de munitions. Cela leur met du baume au cœur. Ils ont même écrit liberté hier dans le sable avec des douilles ramassées par terre.

De l’extérieur, la communauté internationale s’impatiente un peu. Le cours du pétrole n’a jamais été aussi haut depuis 2008, et la révolution s’est muée en guerre dans laquelle aucun camp ne prend vraiment le dessus. Presque décevant. La communauté internationale peine à trouver un accord commun pour réaliser cet espace anti-aérien, afin de protéger les rebelles libyens des bombes. Les insurgés en danger sont déçus d‘entendre que certaines puissances font un pas en arrière. Sur place, on ne veut « pas d’ingérence comme en Irak », mais on sent bien qu’on aurait besoin d’un peu d’aide, de soutien diplomatique, comme celui que leur apporte la France envers qui ils sont reconnaissants. A Ra’s Lanuf, on craint malgré tout que la lassitude et l’épuisement n’emportent ces hommes qui ne dorment quasiment plus depuis des jours.

texte : Arnaud Finistre, Marion Chevassus

mercredi 9 mars 2011

A la guerre, comme à la guerre...

Retour sur les prémices de l'aventure

Aéroport du Caire, le 2 mars, 20 h 40.
Ibrahim est en retard, je suis inquiet. Trois jours plus tôt sur Tahrir square, haut lieu de la révolution Égyptienne, il m’a demandé pourquoi je tenais tant à aller en Libye. «Pour être là le jour ou Kadhafi tombera» bien-sûr. «Toi, tu es mon ami !» s'est-il alors exclamé en me tapant chaleureusement dans le dos avec un large sourire. Quelques minutes plus tard, il arrive. Je le retrouve comme je l’avais quitté au milieu des manifestations de la place Tahrir : des souliers en cuir, une chemise à rayures et une veste de costume. Étrange idée que de partir en Libye habillé de la sorte... Nous sautons dans un bus, puis un taxi pour finalement rejoindre Alexandrie à bord d’un van. Mais déjà sur le trajet, il s’agite la mine inquiète. «Je n’ai pas mon passeport» me dit-il... Il retourne le peu d’affaires qu’il a emporté dans son tout petit sac, mais rien.

Sallum, 17 heures plus tard.
L’agitation des nombreux réfugiés égyptiens qui s’impatientent, dans cette ville frontalière avec la Libye, tranche avec le calme de cette ville de bord de mer. Peter, un photographe anglais arrivé seul depuis le Caire nous a rejoint. Il travaille en free lance et aimerait faire partie du voyage. Ibrahim court partout, il discute à droite à gauche. Puis sur une terrasse improvisée il invite plusieurs personnes à partager son café, celui qu’il trimballe dans son sac. Les informations qu’il nous transmet ne sont guère rassurantes mais il est confiant.
Vers 17 heures, son téléphone sonne, il se redresse subitement. «Let’s go Arnaud!». Nous allons passer la frontière! Peter, pris de cours, pas certain de vouloir courir le risque, décide finalement de ne pas suivre.
Deux bédouins nous embarquent alors dans leur pick-up pour rejoindre le poste frontière. Sur place des centaines de réfugiés soudanais attendent dans le froid. Une distribution de nourriture crée la pagaille.

Un taxi pour Tobrouk
La nuit est tombée. Et j’ai perdu Ibrahim...
Je le retrouve un peu plus tard, la mine déconfite. Il vient de s’entretenir avec un général Egyptien qui lui a clairement fait comprendre que sans passeport, il ne reviendrait pas en Egypte. Quant à moi je suis passé au bureau des visas faire apposer le tampon «sortie».
«Tu vas y aller seul?», il me demande. «Pas question, on est venu ensemble, on reste ensemble, jamais on ne te refusera l’accès à ton pays dans de telles conditions. On y va».Il n’en faudra pas plus pour le convaincre.Une heure plus tard nous montons à bord d’un minibus vide. Le chauffeur ressemble à Luc Besson. Il a l’habitude de faire ce trajet.
Après un no man’s land de 5 km nous arrivons enfin à la frontière Libyenne. Des hommes en armes sont là et contrôlent les véhicules. Deux d’entre eux, l’air sévère s’approchent de moi. Il me posent les questions d’usage : «Pourquoi venez-vous ici, pour qui travaillez vous?» Il vérifient mon passeport, ma carte de presse, font mine de tiquer et finalement il me serrent la main chaleureusement en me remerciant d’être là. «Bonne route et faites attention à vous» nous lancent-ils. Cette fois nous y sommes. Tout paraît étrangement calme. Notre chauffeur toujours pendu au téléphone avale les kilomètres à plus de 180 km/h de moyenne. À Tobrouk, nous repartons avec deux équipes de quataris qui acheminent des vivres à Benghazi. Nous roulerons de longues heures pied au plancher.

Benghazi, 1 h 30 du matin.
À cette heure là, tout est extrêmement calme. Personne dans les rues. Un homme s’arrête et se propose de nous déposer dans un petit hôtel. Là le gérant nous propose un thé et une shisha dans le café qu’il tient juste en dessous. Derrière le rideau de fer mi clos, une dizaines d’hommes discutent joyeusement en regardant Al Arabia. Ibrahim leur raconte brièvement notre histoire et de là chacun se propose de nous aider. L’un d’entre eux lui donne une carte sim libyenne, un autre se propose d’être notre chauffeur pour le lendemain et un troisième nous invite pour dîner le lendemain. On ne pouvait guère tomber mieux, je pense.

(à lire, le portrait d'Ibrahim dans "On les a rencontrés")

dimanche 6 mars 2011

Nouvelles de Benghazi, 4 mars 2011

Benghazi, la ville des laissés pour compte du régime de Khadafi respire enfin. Cette révolution est en train d’unifier le peuple de la plus belle des manières. Hier un homme d’un certain âge m’a dit «avec tout ce sang versé d’un bout à l’autre du pays, nous sommes désormais tous frères . Ce que nous voulons, c’est être libres, vivre dignement et en terminer avec ce régime d’un autre temps. Toutes ces exactions commises à notre encontre nous renforcent chaque jour un peu plus. Nous sommes solidaires et prêts à aller au bout quoi qu’il en coûte. Nous n’avons plus rien à perdre. Nous donnerons nos vies s’il le faut pour que notre jeunesse ne vive plus ainsi.»...

Au quotidien
Pas simple de trouver une connexion internet ici... Il semblerait que Khadafi coupe les vannes du web régulièrement pour éviter que trop d’infos ne filtrent...
Nous sommes dans un hôtel dans une zone périphérique. Un peu la Courneuve à la libyenne mais tout le monde prend soin de nous.
Les Libyens sont très chaleureux. Parfois ils me font la bise comme si j’étais le messie. Ils me tapent dans le dos, m’embrassent et me prennent en photo en me remerciant chaleureusement d’être là. Je dois avouer que c’est assez touchant.
Désormais, nous avons une accréditation du gouvernement provisoire révolutionnaire ce qui nous permet de passer les check points sans encombre et d'entrer où l'on veut. Il sont bien organisés et le système d'entraide fonctionne parfaitement. Ici le taxi est gratuit par exemple.
Avant hier, nous sommes allés à l’hôpital général de Benghazi, puis nous avons pu entrer dans la demeure de Khadafi, détruite, mais aussi les prisons sous-terraines. Il y a une semaine, ils y ont retrouvé des corps brûlés dans des fosses communes...
D’ici 2 jours, nous allons peut-être pouvoir suivre un convoi de médecins égyptiens sécurisé par l’armée pour rejoindre Brega. A voir...

N.B.
Même si des bombardements ont lieu près de Benghazi, pas d'inquiétudes, car les troupes de Khadafi sont inexistantes dans le coin.

vendredi 4 mars 2011

Entre la Libye et Paris

Un gouffre nous sépare désormais, bientôt la suite de la rédaction...

mercredi 2 mars 2011

Suivre ou être suivi

« Tu ne devrais pas t’inquiéter » me dis-tu, ici, dans cette grande chambre aux murs roses, au centre du Caire. Autour, la ville est en ébullition. Une clameur vient de la rue, un étage plus bas. Mais ce n’est pas la foule, c’est un écran plat qui hurle. La télévision relate en arabe les actualités du Moyen-Orient en pleine révolution et je ne comprends pas un traître mot aux discours fleuves scandés par les chefs politiques. Rien n’est concret, comme dans un rêve où la réalité du langage m’échappe.
Je croyais arriver dans un pays libéré de ses tensions, mais elle est encore lointaine l’Egypte du peuple, indépendante et souveraine. Au lendemain des célébrations, la gueule de bois fait mal. Dans les yeux des gens, je sentais le patriotisme victorieux des premiers jours, désormais je vois un nationalisme jaloux. Welcome. Que fais-tu dans mon pays? Es-tu journaliste, es-tu espion? Qu’est-ce que tu veux savoir? Seule touriste d’un pays nouveau né, je suis une agression visuelle pour les fragiles rescapés de ce qu’ils appellent la révolution. Après tout, qu’est-ce qui a changé? Le rais est tombé. A 82 ans, à quelques mois d’abandonner le pouvoir à son fils. Si ce n’est toi, si ce n’est ton fils, qui sera-ce donc? La tête coupée, le corps titube. Le squelette, c’est le peuple. Le cœur et les poumons, ce sont les militaireS. Les bras sont encore tenus par des ficelles, la marionnette ne s’est pas affranchie de son père créateur Gepetto en costume kaki.
Le spectre de la police, tapie dans l’ombre des ruelles et des pas de portes ne me rassure pas. Eux qui ont tiré sur la foule à balles réelles, eux qui ont semé la terreur sous le régime tenu en état d’urgence perpétuel, eux qui censurent la voix internationale à coups de matraques sur les journalistes. Eux qui se disent manifestants pro-Moubarak pour éviter de dire qu’ils n’ont fait que tomber le costume.
Je les vois me prendre en photo, me filmer, enregistrer ma voix, vouloir mon numéro de téléphone, mon prénom. Ces indics maladroits me mettent mal à l’aise. Qu’est-ce que je pense de la révolution? Comme tout le monde. Oui, mais es-tu bien sûre, ma belle, que tout le monde pense la même chose dans les rues? A qui faire confiance. Bien naïve cette petite France qui croyait que la démocratie serait toujours acclamée à l’unanimité, bien naïve elle qui pensait qu’un peuple enchaîné pouvait n’aimer que la liberté. Et la liberté d’expression.

lundi 21 février 2011

Rien ne changera...

Lien web :

Pourquoi la révolution ne changera-t-elle pas grand chose au régime égyptien?

Le professeur Mohamed Darif estime que les analystes les plus avertis savent bien que le prochain successeur de Moubarak ne sera qu’un militaire. Par Khalid Darfaf

http://www.albayane.press.ma/chroniques/interviews/6866-entretien-avec-le-professeur-mohamed-darif-lnle-regime-egyptien-en-quete-de-legitimiter-.html

Ca ressemble à cela, la Libération?

« Welcome to my country ! », les jeunes Egyptiens ont l’agréable impression d’avoir repris possession de leur pays. Alors que la nuit tombe par une vingtaine de degrés, ils fêtent leur libération par la Révolution. Les terrasses des cafés sont pleines à craquer, on rit, on chante, les feux d’artifices s’improvisent dans les rues mal éclairées du centre-ville au Caire.
Voilà désormais une semaine pile que la Révolution a porté ses fruits. Depuis une semaine, les habitants respirent, après dix-huit jours de peur. Quatre vagues successives durant lesquelles les protestations contre le gouvernement se sont amplifiées d’un coup, obligeant le régime visé à riposter de façon détournée (via des groupes de casseurs, via les forces de police et probablement d’autres moyens détournés pour provoquer la terreur). La répression aura fait plus de 350 morts parmi les civils. Les étrangers encore présents sur le territoire ont souffert de la suspicion générale à leur égard durant plusieurs jours:  sus aux espions venus de l’étranger! Un journaliste a été abattu par un sniper et une consœur de la BBC s’est faite molester par des locaux.
La journée du 18 février signe le début d’un nouveau monde pour les citoyens égyptiens. La population jouit d’une immense fraternité, et la rue sent bon la liberté.
C’est donc cela, l’euphorie de la Libération? Une jeune femme tenant un drapeau quitte le bras de son conjoint pour courir vers un autre couple et leur lancer : « L’Egypte est libre! Tahrir, Tahrir! ». La place figure désormais au rang des grands lieux historiques. Dîtes Tahrir, on saura tout de suite de quoi vous parlez : de la Révolution égyptienne.
« C’est une petite révolution », analyse un photographe américain. En effet, les lois, le système n’ont pas été revus en profondeur. Le régime décapité attend son nouveau président. Mais de la plaie s’évadent des fleurs. Le peuple attend un renouveau et garde espoir de voir une démocratie apparaître comme un sphinx. Aujourd’hui, même si les chars militaires quadrillent les rues, on rêve du moment où l’on sera libre. Bientôt.
La jeunesse en rêve. Marre de se faire contrôler dans la rue, de subir à chaque fois un véritable interrogatoire, de se voir mettre en prison et de disparaître sans explication, de ne pas pouvoir émettre la moindre critique sur le gouvernement, et marre, marre de cette misère sociale, du chômage, de la hausse des prix.
« Le président nous a tué en ignorant les problèmes de la population. Le pays est riche, mais la société est à deux vitesses », expliquent de jeunes adultes installés sur une terrasse devant un verre de thé. « Ceux qui sont proches du pouvoir peuvent rapidement devenir très riches (à l’instar de ce percussionniste Ahmed Ezz devenu millionnaire comme par enchantement), les autres ont des situations de plus en plus préoccupantes. Certains enfants travaillent dès l‘âge de 5 ou 10 ans (vente de mouchoirs et bibelots, restauration ou même travail sur les chantiers), de nombreuses familles au Caire sont réduites à la mendicité.
Voilà donc que disparaît enfin le spectre d’un avenir bouché. Place aux rêves, on refait le monde avec entrain en fumant une shisha, on discute du passé et du futur devant la télévision diffusant les informations internationales. Les clips vidéos et les jingles des chaînes exhibent fièrement des images de la révolte doublées d’une musique triomphale et gonflée d’émotions.

vendredi 11 février 2011

Myanmar number one!

Quand deux journalistes de vocation décident de partir en Birmanie, ils se heurtent à une première barrière assez claire, c’est qu’on ne veut ABSOLUMENT pas d’eux. Ecrivains, photographes, fouilles-merde et assimilés, non merci. Pas de ça chez nous.
En même temps, quand on doit cacher des DEPLACEMENTS de population, des CAMPS de travail et une absence quasi-totale de liberté d’expression, on préfère les vacanciers qui ne posent pas de questions et qui font leur tour de bateau à moteur comme on leur a demandé. Bon, nous, ce n’était pas trop notre genre. On voulait plutôt découvrir ce qu’il y a « BEHIND THE DOORS » comme ils disent tous avec un air mystérieux et consterné. Arrivés à Yangoon, on a posés nos sacs à dos dans une guesthouse sombre tenue par une mamie pas marrante. Ce jour-là, elle s’énerve un peu parce qu’elle a besoin de nos numéros de visa et de passeport rapidement : un OFFICIER délégué du gouvernement attend les informations. Il passe tous les matins les récupérer afin de connaître tous les mouvements de touristes. On sort boire un thé après s’être passablement fait engueuler.
On commande : deux lapayè tchow (thés au lait concentré sucré). Deux tasses arrivent pleines à ras bord et avec elles, deux mecs bizarres s’asseyent à deux mètres de nous et commandent … rien du tout. Comme tout ESPION qui se respecte, ils ont un journal qu’ils font semblant de lire. Voilà, fallait le savoir, tous les touristes sont suivis au cours de leur voyage au moins une fois.
Donc on s’est tenus tranquilles au début : la PAYA SHWEDAGON, ce monstre sacré en or du centre-ville de Yangoon, un incontournable touristique. On y passe l’après-midi sous un soleil de plomb, comme dans un square. Tous pieds nus, on se balade en attendant le coucher du soleil, moment précieux où la pagode scintille et où le diamant énorme perché au dessus renverra différentes couleurs selon le lieu duquel on le regarde. C’est aussi BAGAN et ses milliers de stupas, des tas de briques à peu près pyramidaux dans lesquels on trouve un BOUDDHA assis face à la porte d’entrée et souvent un passage secret dans l’épaisse muraille pour grimper au dessus et observer le champ sacré, vieux comme le monde. Là-haut, il a beau être cinq heures et demie du matin, on est pas vraiment seuls. Une demi-douzaine de photographes japonais avec des zooms énormes se concentre la bouche pâteuse sur leur sujet. Tout le monde est pieds nus ou en chaussettes, parce qu’il fallait laisser les pompes en bas. C’est ensuite le LAC INLE, soit disant réserve naturelle, mais en réalité envahi par les bateaus à moteurs (voir la rencontre avec Matignon dans « On les a rencontrés » ) depuis 1999 à peu près. Le niveau d’eau baisse avec les années, car les moussons sont moins importantes depuis trois ans. GLOBAL WARMING. La conséquence? Les villageois ne peuvent plus se déplacer en barque, ils craignent également pour leurs cultures alentours (tomates, fleurs, piments, céréales, etc.) et leur faune aquatique.
Voilà pour le tourisme.
Ensuite, il y a eu les découvertes.
Il y a eu la rencontre avec les MOUSTACHE BROTHERS, ces comédiens jouant à domicile, étroitement surveillés par le gouvernement et qui s’acharnent à critiquer les travers de la société birmane et de son gouvernement. L’un d’eux, a été envoyé en PRISON et en camp de travail trois fois dont un séjour de sept ans, pour avoir blagué sur les généraux.

Il y a eu des balades dans les villages Shan et Palaung, des hauts-lieux de la lutte INDEPENDANTISTE des années 1980, toujours en veille, prêt à prendre les armes au moindre durcissement du gouvernement.
Il y a eu notre peur de se faire suivre les soirs dans la rue ou même ARRETER avec des images déplaisantes. La police vient dans la nuit vous arrêter à votre domicile, pour les locaux, ils partent directement en prison ou en camp après un semblant de jugement, pour les étrangers, ils finissent tout simplement à la frontière et repartent avec un coup de pied au cul et plus de pelloche.
De retour en Thaïlande, pays LIBRE, nous avons rencontré à la sortie de l’avion, une collaboratrice d’ONG indignée par la situation des minorités dans le Rakhaing : « l’Etat procède à une BIRMANISATION des populations, une sorte de purification ethnique via des mariages et des villages modèles (impliquant des prisonniers et des prostituées afin de les mélanger). Ils voudraient que tout le monde soit Birman et bouddhiste. Mais l’Union du Myanmar est faîte de multiples MINORITES revendiquant leur autonomie. Ils envoient les dissidents en camps de travail où les conditions de détentions sont déplorables, les prisonniers tapent du caillou sur le côté des routes ou travaillent dans les champs, un BOULET au pied. »

Birmanie, sans voix

De retour de Birmanie après un mois, nous voici de nouveau sur le blog pour TEMOIGNER.

Que me cache-t-on?

J’ai été étonnée de trouver un sourire sur toutes les lèvres lorsque je j’en lançais un. Les gens, dans un pays non-libre ne sont-ils pas censés pleurer sur leur sort ou préparer une rébellion? Que me cache-t-on ici? Les check points abandonnés sont nombreux à Yangoon, comme dans un pays qui vient de cesser une guerre. Alors comment est cette nouvelle capitale, Naypyidaw, à laquelle je n’ai pas vraiment accès? Fermée, barricadée? Fantôme ou capitaliste?
Mes hôtes, dans les guesthouses veulent savoir ce que je fais, qui je suis, où je vais. A Kyaukme, on fait dix photocopies de mon passeport pour chaque autorité de cette petite ville de 80 000 habitants. De quoi avez-vous peur? Je voulais aller à l’est, au nord du pays... Les zones me sont fermées? Que me cache-t-on...



Touriste ou voyageur?
Doit-on voyager en Birmanie, doit-on éviter de financer la junte militaire au pouvoir en se gardant d’entrer dans le pays? Je crois que la voie juste à suivre est celle du voyageur et non celle du touriste, le premier évite de passer des vacances de plaisir dans le pays mais se rapproche des Birmans et de leur quotidien. Ainsi, il apporte une certaine ouverture, un peu d’air frais à un pays dont les frontières sont fermées pour ses ressortissants (leur passeport ne permet que d’entrer dans cinq pays d’Asie du sud-est). A l’inverse, le touriste universel consomme du monument et s’extasie sur les paysages, tout en renflouant les caisses de l’Etat autoritaire. Il parle anglais, mange aseptisé, trouve les Birmans gentils et le pays d’un rapport qualité prix qui n’est pas exceptionnel. Renfermer le pays dans son propre cliché... Ce n’était pourtant pas leur intention.

Yangoon et Mandalay, elles ont -presque- tout des grandes
Une impression de vieille Europe s’impose parfois avec ces anciens bâtiments coloniaux décrépis, aux coulures humides, aux fissures inquiétantes. Quatre étages qui paraissent abandonnés, des bow-windows so british, une couleur vert menthe tirant sur le vert moisissure.Les autres appartements sont basiques, par les fenêtres entrouvertes, on aperçoit les néons éclairant le salon des appartements que l’on devine décorés de boiseries kitsch. Donnant sur la rue, les échoppes - une pièce mal éclairée prolongée d’un semblant de cuisine sombre et d’une salle d’eau humide - font offices de lieu de vie familial. Dans celui-ci, on regarde les soaps en famille, entassés sur un canapé, devant celui-là, on donne à manger au petit dernier, assis sur les marches, au contact de la vie. Les gamins se sont procurés une balle creuse en osier et joue en cercle à dribbler avec, ça s’appelle le chinlow. Les garçons portent comme leurs pères le longyi, une jupe faite d’une pièce de tissu cousue en tube. Ils la replacent sans arrêt, comme un tic. Pour jouer, ils la remontent en short à la façon des Indiens du sud.
Les rats sortent des embouchures d’égoûts, direction les petits tas de déchets mis en sac plastique. Un peu plus loin, les échoppes à riz vendent un ou deux plats façon cantine. On y mange à 50 centimètres du sol, soi installés sur une table commune face à la femme qui prépare les assiettes, soi sur des petites tables et chaises en plastiques, qui seraient destinées en Europe, aux enfants. Ces terrasses improvisées sont également celles des tea centers, dans lesquels on vous propose un thé renforcé de lait concentré sucré.La tradition veut que le consommateur puisse boire à volonté du thé vert de Chine en même temps. Donc un thermos et des petites tasses sans anse sont disposées sur les tables à votre arrivée. Le thé au lait... en colonisant cette dépendance de l’Inde, les Anglais ont décidément imposé leur marque de fabrique. Tous les hommes d’un certain âge mais aussi les étudiants en pleine émancipation en raffolent. Ils viennent s’installer là et causent entre eux calmement.
Les Birmans sont fans de reprises de tubes américains et spécialement celles des Iron Cross - une sorte de boys band quinquagénaire qui aime chanter Bon Jovi et Coldplay . Mais aucun jeune ne connaît la première version, et, pas sûr qu’ils puissent se la procurer. Pour mieux pouvoir contrôler les paroles et éviter au peuple de s’attarder sur ces idées rebelles qui pourrissent les Occidentaux? Même chose pour le rap, je demande à un garçon de mon âge fan de hip hop quels artistes américains il écoute. Il ne peut me citer que des noms birmans. Bonjour l’ouverture. En même temps, à quoi bon lorgner sur l’Occident puisque les voisins immédiats sont les puissances du futur, la Chine et l’Inde. Et puis, les anciens oppresseurs identifiés sont la Grande-Bretagne et le Japon. L’ancienne alliance de l’Ouest.
«Malgré la libération d’Aung San Suu Kyi, je crois qu’en Birmanie, rien ne changera. J’en parle avec mes employés, ils pensent que le gouvernement est bien installé et que la démocratie reste un rêve lointain.» Un entrepreneur français de Koh Tao

«Le système les a pervertis, aujourd’hui, ils sont secrets. Ils peuvent devenir voleurs, partir du jour au lendemain sans vraie explication.»